mercredi 15 septembre 2010

La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq

La sortie d'un nouveau livre de Michel Houellebecq est toujours un évènement qui agite le milieu littéraire. Pour moi, c'est juste la promesse d'une grande joie car je le clame d'emblée : j'ai adoré tous ses livres. Cette joie est rare et se savoure car Michel Houellebecq publie peu.

C'est donc avec une certaine appréhension que j'ai commencé "La Carte et le Territoire". Sera-t-il aussi réussi que les précédents ? Après quelques interrogations sur les cent premières pages parfois déconcertantes, la réponse est oui. Un grand oui comme dirait André Manoukian. C'est certainement le meilleur Houellebecq (il faudrait que je relise les autres mais je n'ai pas trop le temps en ce moment).


On laissera aux commentateurs aigris le loisir de polémiquer pour savoir si Houellebecq a le droit de copier ou non cinq lignes dans Wikipedia (moi aussi j'ai certainement copié bien plus que cinq lignes dans Wikipedia pour Siècle bleu !). On n'en a rien à foutre. La Carte et le Territoire n'est pas sortie de Wikipedia mais du cerveau d'un très grand artiste et d'un observateur hors pair de notre société. Par rapport aux précédents, ce livre est apaisé. Compte tenu de ce qu'il nous expose (et que je ne le révélerai pas), on pourrait même être tenté de penser que ce sera son dernier livre. Ce serait très triste mais une oeuvre a toujours une fin. Et en l'occurrence quelle fin.


Pourquoi serait-ce le meilleur Houellebecq ? Je ne sais pas, d'ailleurs "meilleur" n'a aucun sens puisque des livres ne se comparent pas et ne se ramènent pas à un classement. Disons donc plutôt qu'il s'agissait d'un autre excellent Houellebecq. Par rapport aux précédents, il est "apaisé". L'esthétique qui ressort de l'ensemble est sublime. On a envie de voir, de sentir, de toucher les oeuvres de Jed Martin (le personnage principal) : les cartes Michelin, sa série sur "les métiers simples", le portrait de Michel Houellebecq, "Damien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l'art" et surtout cette dernière oeuvre démiurgique, folle.


"La Carte et le Territoire" est un livre surprenant, touchant, attachant, fascinant, érudit, drôle, cinglant, émouvant, beau et fou. Il fait peut-être un peu trop de références à des icônes que l'avenir effacera vite (Jean-Pierre Pernaud, Patrick Le Lay…) pour être aussi universel que L'Etranger de Camus. Mais, après réflexions, c'est le thème même du livre qui l'impose : L'érosion causée par le temps qui passe. Je corrige donc : Jed Martin est bien aussi intemporel que Meursault. Et Houellebecq, son double, l'est aussi. Certains y ont vu un autoportrait, il y a de cela, mais ce serait là encore réducteur de ramener ce livre à un simple exercice nombriliste. A la limite un "autoportrait de notre monde" conviendrait pour définir cette oeuvre monumentale.


Alors le Houellebecq mérite-t-il le Goncourt ? Cette question n'a aucun intérêt. Ce livre est au-delà de ça. Jugez-en par ces phrases, les dernières du livre et peut-être les dernières de Houellebecq.


Ce sentiment de désolation, aussi, qui s'empare de nous à mesure que les représentations des êtres humains qui avaient accompagné Jed Martin au cours de sa vie terrestre se délitent sous l'effet des intempéries, puis se décomposent et partent en lambeaux, semblant dans les dernières vidéos se faire le symbole de l'anéantissement généralisé de l'espèce humaine. Elles s'enfoncent, semblent un instant se débattre avant d'être étouffées par les couches superposées de plantes. Puis tout se calme, il n'y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation est total.


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