samedi 26 février 2011

Mensonges d’État


Je viens de terminer un livre qui m’a bouleversé : Le Dormeur du val consacré à l’affaire Robert Boulin. Je n’étais pas du tout familier avec cette affaire survenue le 29 octobre 1979 (je n’avais que 5 ans !). En deux mots : le ministre Robert Boulin a été assassiné dans l’exercice de ses fonctions, inédit dans la Vème République, et depuis trente ans, une machine d’Etat est en branle pour faire croire à la thèse absurde du suicide.


Pour ceux qui croient encore qu’il n’y a qu’aux États-Unis que l’on peut ourdir un complot d’Etat, je vous en recommande la lecture. À la lecture de ce livre, je me dis que la machination présentée dans l’intrigue de Siècle bleu est possible (et peut-être même celle du tome 2 qui va encore beaucoup plus loin !).


Ce document, qui vient de paraître, est d’autant plus touchant qu’il est écrit par sa fille, Fabienne Boulin Burgeat, qui se bat depuis trente ans pour faire jaillir la vérité.


Robert Boulin était un grand résistant, qui fut maire de Libourne, député de la Gironde et ministre de façon quasi ininterrompue sous De Gaulle, Pompidou et Giscard. Wikipedia indique qu’il fut successivement :

  • secrétaire d'État aux Rapatriés (1961-1962),
  • secrétaire d'État au Budget (1962-1967),
  • secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances (1967-1968),
  • ministre de la Fonction publique (1968),
  • ministre de l'Agriculture (1968-1969),
  • ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale (1969-1972),
  • ministre délégué aux Relations avec le Parlement (1972-1973),
  • ministre chargé des Relations avec le Parlement (1976-1977),
  • ministre délégué à l'Économie et aux Finances (1977-1978) ,
  • et enfin ministre du Travail et de la Participation (1978-1979).

Robert Boulin était un homme simple, proche des électeurs de sa circonscription et de sa famille. Sa polyvalence, sa puissance de travail, son sens de l’État et son intelligence faisaient l’unanimité. Le président Giscard avait d’ailleurs publiquement envisagé, début octobre 1979, de lui proposer le poste de Premier ministre en remplacement de Raymond Barre, au plus bas dans les sondages. Robert Boulin avait indiqué que ce n’était pas son souhait et que cette annonce risquait de lui poser de gros problèmes.


Cette nomination faisait en effet de l’ombre à ceux qui briguaient ce poste (Alain Peyrefitte notamment) mais surtout à Jacques Chirac qui venait de faire main basse sur le RPR. La présidentielle de 1981 approchait et Chirac comptait bien se présenter contre Giscard. Chirac voyait mal un homme du RPR devenir le second d’un gouvernement UDF (ancien gaulliste, Robert Boulin était un des piliers du RPR, qu’il venait d’ailleurs de quitter momentanément lorsque Chirac avait pris le contrôle du parti). Robert Boulin gênait, alors qu’il n’avait jamais cherché à être Premier ministre. C’est sa compétence et la qualité de ses relations avec les partenaires sociaux qui le plaçaient comme favori (il s’occupait du délicat dossier de reclassement de la sidérurgie française).


Pour le déstabiliser, ses opposants sortirent d’abord à la rentrée 79 la ridicule « affaire de Ramatuelle », dans laquelle Robert Boulin aurait touché de l’argent pour un terrain où il faisait construire sa maison. Ce n’était que pure calomnie, il le démontra assez facilement, mais les médias, entraînés par ses invisibles détracteurs, continuaient à se déchaîner (l’homme qui avait lancé cette accusation s’est réfugié à Ibiza d’où il n’a jamais été extradé !). Robert Boulin était un homme pour qui l’argent n’avait aucun intérêt et d’ailleurs sa famille se retrouva dans le dénuement à sa mort. Boulin s’apprêtait à répliquer en novembre et il détenait des dossiers sulfureux, probablement sur le financement des partis politiques (en tant qu’ex-ministre des finances, Robert Boulin avait connaissance des commissions versées par Elf et consoeurs aux chefs d’Etat africain, puisque celles-ci donnaient lieu à réduction d’impôts et devaient être validées par le Ministre !).


Le 29 octobre, il disparut de son domicile et fut retrouvé mort au petit matin le 30 octobre par les gendarmes dans un étang de la forêt de Rambouillet. Dans la nuit, on retrouva une lettre d’adieu dans la corbeille de son bureau à son domicile dans laquelle il expliquait son abattement après l’affaire de Ramatuelle et sa décision de mettre fin à ces jours. Cette lettre semblait être un patchwork entre une lettre qu’il avait vraiment écrite pour s’expliquer aux journalistes et des morceaux ajoutés par des tiers. Dès 9h00, le corps à peine retrouvé depuis quelques minutes, la thèse officielle du suicide était martelée par l’AFP, la radio et la télévision. Tout avait été préparé au préalable : depuis la veille au soir, alors que Boulin venait juste de disparaître, de multiples politiques étaient déjà au courant de sa mort et la femme de Robert Boulin reçut de nombreuses visites dès 19h00… de gens qui profitèrent de son inquiétude pour s’emparer chez elle de nombreux documents... Selon la thèse officielle, Robert Boulin, très affecté par l’affaire de Ramatuelle et souffrant également de tensions dans sa famille, aurait avalé des barbituriques, alors que son corps n’avait même pas encore été autopsié. Il se serait ensuite noyé, alors que l’étang où il a été retrouvé ne faisait que 50cm de profondeur !



Vous allez me dire : c’est impossible de dissimuler dans la durée un mensonge aussi grotesque ! Et bien, si ! Quand on ment, ce qui est important c’est de contrôler tous les maillons qui pourraient éventuellement conduire à la vérité. Cela rappelle beaucoup l’affaire JFK et à ce titre je vous conseille l’édifiant « JFK le dernier témoin : Assassinat de Kennedy, enfin la vérité ! » où le journaliste français William Reymond a retrouvé le dernier témoin vivant de cette machination, un homme d’affaires du nom de Billie Sol Estes. C’est en lisant ce livre à sa sortie en 2003 que j’avais perdu toute ingénuité dans la compréhension de la marche du monde et que j’ai commencé à essayer de lire « entre les lignes ». J’avais également revu en profondeur mon projet Siècle bleu, beaucoup trop utopiste et candide à l’époque. La théorie de la balle unique à laquellle a conclu la Commission Warren, est un monument de non-sens. Je vous cite ce qu’en dit Wikipedia : Elle postule qu'une balle unique, identifiée comme « Pièce à conviction 399 de la Commission Warren » (ou CE399) a causé l'ensemble des blessures non fatales subies par le Président John Kennedy et par le Gouverneur John Connally au cours de l'assassinat du Président. La théorie est importante parce que les deux hommes semblaient avoir été blessés en même temps ou en tout cas dans un espace de temps insuffisant pour qu'un tireur unique, compte-tenu du type d'arme (une carabine à verrou), puisse tirer deux fois. Le House Select Committee on Assassinations (HSCA) de 1979 confirma la plausibilité de cette théorie.


Quand vous voulez faire avaler un tel mensonge, ce qui est également fondamental, c’est la vitesse et l’insistance avec laquelle la thèse officielle est lâchée. Dans le cas, de l’affaire Boulin, regardez juste cette vidéo de l’INA du journal de 13h d’Antenne 2 diffusé seulement quatre heures après la découverte du corps le 30 octobre 1979 (en plus c’est assez marrant de voir comment le JT a évolué depuis).


Pour des millions de français, la thèse du suicide a été entérinée par ce journal de 13 heures. Les 75 irrégularités, inconsistances ou non-sens référencés par la famille Boulin et les multiples enquêtes de courageux journalistes (sur lesquels leurs rédactions ont exercé des pressions très fortes) n’y changeront jamais rien :

  • l’eau était froide (ce qui aurait dû laisser le suspect en éveil surtout avec les doses de barbituriques indiquées, des tests l’ont prouvé),
  • l’eau des poumons n’a jamais été comparée à celle de l’étang,
  • les traces qui se forment juste après la mort étaient concentrées sur le dos, preuve que le corps a été retourné (il était sur le ventre au moment de sa découverte)
  • les marques au visage et sur son crâne indiquent que Robert Boulin a été violemment frappé (les gendarmes tiront que le corps s’est cogné contre des pierres lorsqu’ils l’ont sorti de l’étang, alors que la zone est dépourvue de grosses pierres !)
  • l’autopsie a été pratiqué sans l’accord de la famille avec de nombreuses irrégularités…
  • non-audition de certains témoins

Si vous voulez connaître la liste complète des 75 irrégularités, lisez ce site ou le livre de Fabienne Burgeat-Boulin, c’est effarant.


On peut s’étonner que malgré tous ces indices, l’affaire soit encore classée, mais la famille n’a eu de cesse d’en redemander l’ouverture (cf. la chronologie établie sur Wikipedia). Le 1er juin 2010, alors qu’elle était encore garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie (et oui, encore elle !) a réaffirmé : « le dossier est clos ». Celui ou ceux qui se cachent derrière cette affaire tiennent encore à ce que, trente ans plus tard, la vérité reste étouffée. Pour les exécutants, tous les indices convergent vers le fameux SAC (Service d'Action Civile), sorte de police parallèle. Pour les commanditaires, plusieurs hypothèses, il y a évidemment Jacques Chirac mais éventuellement aussi Valéry-Giscard d’Estaing, qui s’il n’était pas le commanditaire était nécessairement au courant. Fabienne Burgeat-Boulin explique que dans ses mémoires, VGE rapportait qu’avant sa mort, la femme de Robert Boulin parlait de lui en des mots très durs. La fille du défunt a attaqué VGE en diffamation et elle a eu gain de cause. Pourtant, malgré la décision de justice, dans la nouvelle édition de ses mémoires, VGE maintint la phrase incriminée, ce qui est choquant pour un ancien président de la République et un membre du conseil constitutionnel !


La publication du livre a remis l’affaire à l’«affiche», et Fabienne Burgeat-Boulin va réessayer une nouvelle fois de rouvrir le dossier. Je me mets à la place de cette femme et je me demande comment elle n’est pas devenue folle devant autant de mensonges, sur la mort de son propre père. C’est d’autant plus difficile qu’elle mène maintenant ce combat seule, sa mère et son frère étant décédés (de morts naturelles) il y a quelques années. Vous pouvez l’encourager en faisant des dons à l’ « Association Robert Boulin pour la liberté ».


Dans l’histoire, le mensonge a souvent été utilisé pour préserver la raison d’État. Mais ici, il s’agit de préserver des interêts personnels. La mort de Robert Boulin a marqué le début du déclin d’une grande classe politique française, dont il était l’un des derniers représentants.